La Big Tech vous doit de l'argent : trouvez donc combien
La vision des données en général et des données personnelles en particulier comme une ressource précieuse s'impose lentement. L'idée que les données sont le "nouvel or" a déjà suscité une vague de lois sur la protection des données, notamment le règlement général sur la protection des données (RGPD de l'UE) - la loi la plus stricte au monde en matière de confidentialité et de sécurité, et la loi californienne sur la protection de la vie privée. La question de la protection de la vie privée et du partage des données est entrée sous les feux de la rampe. Plus de la moitié des américains (57 %) et des britanniques (56 %) sont désormais inquiets de la confidentialité des données lorsqu'ils vont en ligne. Et c'est normal. Malgré toutes les tentatives visant à les contenir, les géants de la technologie qui s'emparent des données personnelles et les réutilisent à leur guise gagnent plus d'argent que jamais.
Les données c'est de l'argent, mais combien ?
Big Tech gagne beaucoup d'argent en vendant l'attention des utilisateurs. En 2020, Alphabet, la société mère de Google, a généré 183 milliards de dollars de revenus. Plus de 80 % de cette somme provenait des publicités en ligne. Un an plus tard, alors que l'économie mondiale était encore sous le choc provoqué par la pandémie, Google a continué à prospérer, enregistrant une augmentation de 41 % de ses revenus, qui ont atteint 257 milliards de dollars. Les annonces Google (tant dans les recherches que sur YouTube) ont représenté 209,4 milliards de dollars de ce montant. Facebook bat également des records. L'année dernière, Meta a franchi pour la première fois la barre des 100 milliards de dollars, avec 118 milliards de dollars de recettes. Sur ce montant, 115 milliards de dollars sont dus aux publicités.
Ces chiffres pourraient faire tourner la tête de n'importe qui, mais il est difficile d'évaluer la valeur des données d'un utilisateur individuel. Il est vrai que les données ne sont pas matérielles et sont souvent dispersées un peu partout, ce qui rend difficile de leur attribuer un prix. Mais l'économie des données est soumise aux mêmes règles d'offre et de demande. Avec un gros bémol : les utilisateurs fournissent leurs données gratuitement, pour le douteux privilège d'utiliser les services des entreprises technologiques. Mais ce marchandage est-il équitable et ne sommes-nous pas en train d'échanger des terres contre des perles de verre ?
Vous pouvez tirer profit de vos données
Un vieux dicton dit que "la chose ne vaut que ce que quelqu'un est prêt à payer pour l'obtenir "*. Ça ne sonnera peut-être pas vrai pour tout le monde, mais même en vendant quelque chose à un prix que vous pensez inférieur au coût, est peut-être mieux que de le donner gratuitement. Surtout si l'acte de vente ne prend ni temps ni effort.
Dans notre tentative de trouver la véritable valeur des données personnelles, jetons un coup d'œil rapide aux services qui permettent déjà aux utilisateurs de les monétiser. Ces services promettent des revenus passifs en échange de l'accès aux données de santé, aux achats et à l'historique de navigation des utilisateurs. Les goûts qu'ils ont pour les données peuvent différer, mais ils fonctionnent tous selon le même principe : les données personnelles valent quelque chose plutôt que rien.
Les données qu'ils "achètent" sont utilisées pour des études de marché et des publicités ciblées, tandis que les "vendeurs" sont rémunérés par des cartes-cadeaux, des réductions et de l'argent liquide.
Photo: Carlos Muza/Unsplash
La plateforme de suivi de la santé Evidation paie les utilisateurs *"pour leurs pas, leur sommeil, leur participation aux enquêtes ou autres" une fois qu'ils se sont connectés à la plateforme. Evidation affirme qu'elle demande le consentement "chaque fois " que les données sont demandées. En acquiesçant à cette demande, les utilisateurs donnent à la société et à ses partenaires la permission de les suivre sur des appareils différents et de les cibler avec des publicités. Les utilisateurs gagnent de l'argent en recevant des points. Ils peuvent gagner jusqu'à 80 points par jour "pour chaque activité variable suivie ", telle que la course à pied, et 6 points pour "chaque activité fixe ", telle que l'enregistrement de la nourriture ou le tweet sur la santé. Les utilisateurs ne peuvent retirer de l'argent qu'après avoir obtenu 10 000 "points ", ce qui équivaut à 10 dollars.
L'une des plus grandes sociétés d'études de marché au monde, Nielsen, verse jusqu'à 50 dollars en points de récompense par an pour l'installation de son application ou de son logiciel. La récompense peut être encaissée ou échangée contre des cartes-cadeaux. Nielsen recueille trois catégories d'informations, appelées "données démographiques" (âge, emploi), "données comportementales" (activité en ligne) et "données de préférence" (contenu préféré). L'entreprise peut partager ces données avec des tiers, notamment Facebook, Google et Roku TV, à moins que vous ne vous y opposiez expressément.
La somme d'argent que vous pouvez gagner en ne faisant rien dépend également de la quantité de données que vous êtes prêt à partager - et, sans surprise, plus de données signifie plus d'argent. Par exemple, les personnes qui ont téléchargé l'application Monetha peuvent gagner des points en faisant leurs achats en donnant accès aux informations de leur profil à des magasins partenaires "particuliers ". Le montant de la récompense dépend de la somme dépensée par les acheteurs et de l'exhaustivité de leur profil.
Tous les services ne sont pas transparents quant à la quantité d'argent que vous pouvez gagner en les utilisant. Honeygain, qui permet aux utilisateurs de partager leur trafic en échange d'argent, indique que la somme moyenne versée peut dépendre de nombreux facteurs et varier d'un pays à l'autre. En 2021, elle allait de 23 dollars (France, Turquie) à 48 dollars (Danemark), le paiement unique le plus important étant de 9 401 dollars.
Le phénomène ne s'arrête pas aux applications. Une extension Chrome appelée Lazybucks paie les utilisateurs pour "louer " leurs comptes Facebook à des annonceurs. La seule chose que l'utilisateur doit faire est de lier son compte à l'extension. Il n'y a pas de limite au montant que l'on peut gagner de cette manière, mais il y a aussi un côté sombre : les annonceurs peuvent diffuser des publicités trompeuses, promouvoir des choses illégales ou enfreindre d'autres règles. On ne sait jamais.
Certaines des solutions les plus avancées sont encore en cours d'élaboration. LetAlone, une société fondée par des passionnés de la confidentialité, souhaite que les gens reprennent le contrôle de leurs données personnelles aux mains des géants de la technologie. Elle va lancer une application gratuite qui permet aux consommateurs de partager leurs données "par le biais d'un portefeuille de données décentralisé ". LetAlone s'attend à ce que les utilisateurs gagnent 450 dollars par an** en moyenne grâce à leurs données.
L'Empire contre-attaque
Photo: Greg Bulla/Unsplash
Si vous pensez que certaines de ces "opportunités" de revenu passif risquent de ne pas plaire aux géants des médias sociaux qui collectent et exploitent les données personnelles sans verser le moindre centime aux utilisateurs, vous avez raison. Bien qu'il soit peu probable que ces applications et extensions fassent un jour une grosse entaille dans les revenus des grandes entreprises technologiques (du moins dans un avenir proche), leur modus operandi les place néanmoins sur une trajectoire de collision avec les géants de la technologie. Dans le cas d'UpVoice, une extension Chrome de collecte de données payante, on en est arrivé à une épreuve de force.
UpVoice affirmait que ses "panélistes " pouvaient gagner 75 dollars ou plus par an simplement en passant du temps sur Facebook, LinkedIn, Twitter, Amazon et YouTube. L'extension collectait les données sur les publicités que ses "panélistes " voyaient, et en retour leur donnait des points échangeables contre des cartes cadeaux. Le système fonctionnait effectivement jusqu'à ce que la société à l'origine d'UpVoice - BrandTotal - soit poursuivie par Facebook pour "collecte de données trompeuse " ( !). Peu après avoir perdu une longue bataille juridique avec le géant technologique, UpVoice a fermé. BrandTotal a fait valoir que Facebook essayait simplement de s'accrocher à son monopole publicitaire en l'attaquant en justice, mais le juge a donné raison à Meta. Quod licet Iovi, non licet bovi, ou ce qui est permis à Jupiter ne l'est pas aux vaches, apparemment.
Bien qu'il puisse être tentant de vendre vos données, nous ne vous recommandons pas de le faire. Bien que ces services se présentent comme étant axés sur la protection de la vie privée, ils collectent trop de données pour être dignes de confiance.
Faisons le calcul
Photo: iSawRed/Unsplash
Comme nous avons pu le constater, les estimations de la valeur de vos données par des entreprises sont à leur tour différentes. De plus, les données qu'elles recherchent diffèrent également. Il semble donc que nous n'avons pas avancé d'un pouce dans notre tentative de déterminer la valeur des données d'un seul utilisateur. Il est peut-être temps de faire appel à l'arithmétique de base.
Vous vous souvenez de l'accord malheureux d'Elon Musk avec Twitter ? Étant donné que 89 % des revenus de Twitter en 2021 provenaient de la publicité (4,5 milliards de dollars sur 5 milliards de dollars), on peut supposer que la quantité d'argent que Twitter gagne dépend largement du nombre d'utilisateurs actifs quotidiens (mDAU) monétisables. La raison pour laquelle il était si important pour Musk de connaître la proportion exacte de robots spammeurs sur Twitter est que, comme on ne peut pas vendre aux robots, leurs données "personnelles" ne sont pas monétisables !
Les prix facturés par Twitter pour les services publicitaires dépendent du nombre d'utilisateurs qui peuvent être exposés aux publicités. Il s'agit peut-être d'une estimation très grossière, mais disons que nous croyons Twitter et qu'il avait effectivement 214 millions de mDAU au quatrième trimestre de 2021. Twitter a gagné 1,413 milliard de dollars uniquement grâce aux publicités pendant cette période, ce qui signifie que chaque utilisateur a rapporté 7 dollars par trimestre, et environ 30 dollars par an.
Musk, pour sa part, a proposé d'acheter la plateforme de réseau social pour 44 milliards de dollars en espèces en avril, alors que Twitter comptait 229 millions de mDAU. Cela signifie que si l'opération s'était concrétisée, Musk aurait payé environ 190 dollars pour chacun des humains uniques de Twitter. Prenez ces calculs avec un grain de sel, car il ne s'agit que d'une approximation.
Examinons également de plus près la situation de Meta, société mère de Facebook, Instagram, Messenger et WhatsApp. Les utilisateurs actifs mensuels de Facebook s'élevaient à 2,9 milliards en décembre 2021, tandis que ses recettes publicitaires pour l'ensemble de l'année s'élevaient à 114,9 milliards de dollars. Si l'on ne tient pas compte du fait que le nombre d'utilisateurs varie tout au long de l'année, on peut conclure que les données d'un seul utilisateur rapportent à Meta environ 39 dollars par an.
Les recettes publicitaires de YouTube ont explosé pour atteindre 28,8 milliards de dollars en 2021, soit un quasi-doublement. On estime que plus de 2,6 milliards d'utilisateurs visitent YouTube au moins une fois par mois. Ainsi, chacun d'entre eux rapporte en moyenne 11 dollars à YouTube.
30 ou même 80 dollars, cela ne semble pas être une grosse somme, n'est-ce pas ? Il faut garder à l'esprit que Twitter, Facebook et YouTube ne sont pas seuls dans ce commerce. Une personne moyenne tient environ 8 comptes de médias sociaux, et si nous prenons une jeune personne férue de technologie, alors le nombre est probablement encore plus élevé. Multipliez 30 dollars par 10, par exemple, et vous obtiendrez 300 dollars par an. Donc, plus les gens ont de comptes, plus ils donnent de données gratuitement, ce qui contribue à faire grimper en flèche les profits déjà énormes des adtech.
Cela ne vous semble toujours pas une fortune ? Eh bien, cela dépend... De plus, jusqu'à présent, nous avons tenté d'estimer le montant des revenus par utilisateur, en ignorant l'argent que les géants de la technologie dépensent pour soutenir leur infrastructure publicitaire massive. Ces dépenses sont retirées avant le calcul du revenu net. Par exemple, parallèlement à l'augmentation des recettes publicitaires, Alphabet a également signalé une augmentation du coût des recettes et des dépenses d'exploitation, qui ont atteint ensemble 178,9 milliards de dollars en 2021. Les dépenses d'exploitation comprennent la recherche et le développement, la rémunération du personnel de marketing et de soutien, les frais juridiques, etc. Le coût des revenus comprend les "montants versés aux partenaires du réseau Google principalement pour les annonces affichées sur leurs propriétés ", ainsi que les dépenses liées aux centres de données et à l'acquisition de contenu.
Donc, pour les géants de la technologie eux-mêmes, les données d'un seul utilisateur peuvent coûter beaucoup plus cher que ce que nous avons estimé.
Ce n'est peut-être pas palpable, mais c'est tout à fait réél
Certaines données personnelles ne signifient peut-être pas grand-chose pour nous au moment où nous les partageons, mais elles ont en fait une valeur considérable. Dès que nous les déversons sur les réseaux sociaux, elles deviennent un produit et vont sur le marché des données. Mais la différence avec le marché réel est que nous, les propriétaires initiaux de ces données, n'avons aucun contrôle sur ce qu'il en advient et ne recevons aucune compensation.
Les lois sur la protection de la vie privée visant à limiter le pouvoir excessif de la technologie publicitaire ont amélioré la situation, mais pas de beaucoup - les plateformes technologiques proposent constamment de nouvelles méthodes de suivi et de personnalisation des publicités. Elles s'assurent également que les utilisateurs ne se rendent pas compte qu'ils sont suivis, de sorte que l'idée de se retirer ne leur viendrait même pas à l'esprit.
Pour conclure, nos données deviennent une marchandise à notre insu et souvent contre notre volonté. C'est peut-être un peu exagéré, mais on peut comparer cela à un vol à la vue de tous. Mais les victimes présumées - les utilisateurs des médias sociaux - ne vont pas voir la police, ils acceptent cet état de fait comme un statut quo. Il est peut-être temps de le remettre en question.